Rencontre avec l’homme sauvage aux fleurs
Après avoir collaboré avec Beyoncé et Kendall Jenner, Phil John Perry donne aujourd’hui vie à notre toute dernière collection
Phil John Perry travaillait pour Rebel Rebel, un fleuriste du marché londonien de Mare Street, à Hackney, quand on lui a proposé d’apprêter la chanteuse la plus célèbre du monde.
Le magazine Vogue voulait photographier Beyoncé portant une coiffe florale. « Au début, je ne savais pas que c’était pour elle », me confie le créateur de Manchester. « Lorsque je l’ai su, j’ai changé d’idée. Je voulais concevoir une sorte de couronne de reine extra-terrestre, d’une forme étrange que je n’avais encore jamais vue. Une fois la composition terminée, je n’ai pas pu m’empêcher de penser ’’elle est sortie tout droit de ma tête et au final, elle est comme je l’avais imaginée’’. C’était incroyable. C’est l’un des moments dont je suis le plus fier. » Sa carrière s’en est trouvée transformée à jamais.
Phil John Perry est né à Manchester en 1988, d’un père policier et d’une mère infirmière. Du haut de ses 33 ans, il n’a quasiment jamais cessé de créer, que ce soit en tant qu’artiste, en tant qu’acteur ou plus récemment en tant que créateur floral. C’est donc tout naturellement que nous avons pensé à lui au moment de choisir qui pourrait donner vie à notre collection Wild Garden. Il nous parle ici de sa carrière extraordinaire et de la beauté qui l’inspire, et nous explique en quoi sa dyslexie transforme sa façon de raconter les histoires.
Votre carrière est très éclectique. Pouvez-vous me raconter votre parcours ?
J’ai fait plein de choses différentes. À 17 ans, je suis allé vendre des sapins de Noël dans un magasin. Il y avait un rayon jardinage et un rayon décoration d’intérieur, avec toutes sortes d’étalages et de compositions florales excentriques. Cela me convenait bien : j’ai toujours été obsédé par la vie en plein air et j’ai toujours construit des cabanes. J’ai grandi dans le quartier urbain de Hulme, mais je passais tout mon temps dehors. Ensuite, je suis descendu à Londres pour y apprendre le métier d’acteur. J’ai joué de petits rôles dans la série télévisée anglaise Cucumber, des choses comme ça. Mais j’ai toujours eu un autre job en parallèle. J’ai étudié les beaux-arts et je fabrique, je peins et je dessine depuis toujours. Sur les plateaux télévisés ou les scènes de théâtre, j’aime voir le projet dans son ensemble et en découvrir les différentes facettes. J’ai toujours aspiré à faire entrer l’imaginaire dans le monde réel. Cet été, j’ai prévu de me rendre au Pays de Galles. Mes parents sont en train d’y acheter une maison pour leur retraite. Là-bas, j’irai sur l’île d’Anglesey pour me muer en homme des bois sauvage, car en réalité, mon instinct me dit que c’est ce que j’aurais toujours dû être.
Qu’est-ce qui vous motive dans votre vie quotidienne ?
La beauté. J’aime ce qui sort de l’ordinaire, les choses créées par la main humaine mais qui portent l’étrangeté d’un autre monde. Ce matin, je suis allé à la plage. On y trouve toutes sortes de choses qui semblent venir d’une autre planète. Lorsque la marée se retire, tous les bassins rocheux sont remplis d’oursins, de fleurs et d’algues bizarres. J’aime la façon dont tout cela s’agrippe aux rochers, c’est si différent du sol.
Parlez-nous de la manière dont vous avez abordé notre collaboration pour Wild Garden.
Le premier jour de préparation, j’ai roulé de Kent à Londres et je me suis directement rendu au marché aux fleurs de New Covent Garden, pour acheter ce qu’il fallait pour le shooting. Ce fut intense mais ça en valait la peine. J’étais vraiment enthousiasmé par le côté sensoriel du Wild Garden et par le fait qu’il s’agissait de tenues pour hommes. Les silhouettes changeantes m’ont inspiré. Je voulais munir les mannequins d’une sorte d’armure, d’un effet antigravité qui contrebalancerait les vêtements. L’un d’eux mesurait 1,95 m et avec la coiffe, il atteignait plus de 2,74 m. J’adore cette impression d’échelle. Je travaille depuis longtemps sur la structure des épaulières orange qui a finalement fonctionné ici. J’ai choisi les fleurs en fonction des couleurs de l’imprimé. J’ai commencé à brasser des idées au mois de mars. Je veux que les gens se disent : « Je n’avais jamais vu ça. Qui sont ces créatures ? » Je voulais que cette création donne l’impression d’avoir littéralement poussé sur les mannequins. Comme s’ils étaient restés assis dans un jardin trop longtemps, et que les fleurs et les plantes les avaient envahis.
Comment travaillez-vous sur vos projets ?
Cela dépend du type de travail. Avant tout, j’écris quelques phrases pour décrire comment je vois le concept. Puis je reprends le catalogue de mes créations antérieures et je réfléchis à ce que devrais faire. J’utilise principalement le dessin. J’esquisse des formes. Souvent, j’ai une idée qui me trotte dans la tête depuis un certain temps, alors j’essaie de la relier à quelque chose. Puis, bien évidemment, je me procure différentes fleurs et je fabrique la création finale.
Portiez-vous déjà un intérêt aux fleurs et au design lorsque vous étiez enfant ?
Enfant, j’étais surtout attiré par le dessin et les histoires. Je voulais toujours être dehors et j’ai toujours eu un chien. Je collectionnais les coquillages qui présentaient un intérêt particulier. Je souffre d’une dyslexie sévère. Je pense d’ailleurs que le corollaire à la dyslexie est l’obligation de réfléchir à une manière différente de raconter les histoires.
Est-ce différent de créer une structure florale pour un homme ou pour une femme ?
D’un point de vue pratique, il y a la question de la chevelure. Plus il y a de cheveux, plus mes structures peuvent être volumineuses car il est plus aisé d’y accrocher des épingles. Avec les hommes, c’est plus facile : vous pouvez fixer vos fleurs à une casquette ou à du grillage. Mais pour les créations florales, je préfère travailler avec les hommes car l’imagerie est bien plus forte. On peut voir les fleurs comme des créatures sexuées. C’est pour cette raison que j’aime jouer avec cette frontière.
Aimeriez-vous voir davantage de fleurs sur les vêtements pour hommes ?
Absolument. J’adorerais voir plus de coiffes, ce genre de choses traditionnellement féminines. J’aimerais voir une fleur sur le bouton du col plutôt qu’une cravate ou un nœud papillon. Mon père est originaire de Dublin et issu d’une famille catholique irlandaise. Et le jour de la Saint-Patrick, mes oncles recevaient une grosse poignée de terre avec le trèfle piqué à l’intérieur. J’adore l’esprit de ce genre de rituels. J’aime ça.
Je sais que vous adorez le cinéma. Cela se reflète-t-il dans votre univers ?
Les films muets d’époque font partie de mes plus grandes inspirations. Je les adore. Je les regarde en boucle. Ce qui me plaît, c’est simplement la ruse qu’ils utilisent. J'aime que les choses soient palpables et avec les films muets, il n’y a pas d’image de synthèse. C’est vraiment quelque chose que je veux recréer. J’ai déjà un peu essayé avec des sortes de paysages sous-marins où l’on retrouve des fleurs et d’autres choses. C’est quelque chose que j’ai l’intention d’approfondir. Ma mère est infirmière, mon père était policier. Je suis inspiré par le travail qui a un sens et par la fierté qu’il procure.
Si vous pouviez changer le monde, que feriez-vous ?
J’aimerais que tout le monde puisse avoir les mêmes chances dès le départ. Il est très difficile d’obtenir un siège à la table des discussions.